Quand je travaillais en Allemagne, j’étais libre l’après-midi. Pour m’instruire un peu dans un domaine qui n’était pas du tout entré dans mon cursus universitaire, je m’étais inscrite en auditrice libre à l’université en Histoire de l’art. Ach, comme c’était intéressant ! Depuis, je sais reconnaître un tableau de Friedrich du premier coup d’oeil, surtout le romantique sur son rocher, et même quand ce n’est pas un tableau de lui, ce n’est pas grave car personne ne connaît la peinture allemande dans mon entourage, donc je passe pour une lumière (avant, j’étais en contre-jour).
En Espagne, j’ai fait un stage d’ornithologie d’une semaine pour découvrir les petits (et gros) oiseaux du cru. Ma qué, comme c’était intéressant ! L’ennui, c’est que j’ai appris tous les noms d’oiseaux en espagnol (les Espagnols jurent beaucoup), même ceux des oiseaux que l’on trouve en France aussi. Il faudrait donc que je refasse un stage ici pour apprendre les noms en français (les noms des oiseaux, bien sur, parce que les gros mots, je les connais déjà. Suivez un peu !).
Là-bas, j’ai notamment découvert un très bel oiseau coloré, l’abejaruco, (finalement, je vais vous faire réviser votre espagnol) qui comme son nom l’indique mange des abejas ! C’est pour cela qu’il a un bec très long, dont l’origine remonte sans doute à un pauvre représentant de l’espèce qui avait un long bec comme on aurait un long nez, et qui était la risée de tous ses camarades. Mais les petits malins au bec court n’ont pas rigolé longtemps lorsqu’ils ont attrapé leur première abeille qui leur a piqué la langue et qu’ils ont gonflé comme une baudruche, avant de mourir. Notre bec de sabre, lui, pouvait attraper les abeilles sans se faire piquer, les écrabouiller puis les avaler ! La place étant libre, il a fricoté avec toutes les abejarucas du voisinage, et plein d’abejarucitos sont nés, tels qu’on les connaît aujourd’hui. L’évolution d’une espèce tient finalement à peu de chose. Aussi, si vous avez un long nez et que vous êtes un homme, attendez-vous à avoir une grande descendance, c’est bien connu !
Mais revenons à nos moutons : pendant mon stage d’ornithologie, les moniteurs m’ont dit qu’on trouvait des abejarucos en France aussi, sur le pourtour méditerranéen. J’allais donc pouvoir les observer une fois rentrée ! Mais de retour sur le territoire national, un jour où je lisais un énorme pavé sur les oiseaux de France pour en faire la critique, quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre qu’on trouvait le guêpier aux portes de Paris !! "Changement climatique" m’ont dit mes collègues (enfin, maintenant, il faut dire « dérèglement climatique » parce que ça chauffe puis ça gèle d’un jour à l’autre).
Avec le réchauffement des températures, les bébêtes remontent, remontent, tout comme la végétation, d’ailleurs. Moi qui réfléchissais à une région agréable où acheter une maison de campagne pour finir mes vieux jours, je vais finalement rester là où je suis. Les oiseaux du sud sont déjà là, des palmiers poussent en Bretagne aussi. Avec la remontée du niveau de la mer quand tous les glaciers auront fondu, ce sera bientôt la côte d’azur en bas de l’immeuble. Pas si mal vu d’ici, mais imaginez les animaux qui vont remonter d’Afrique dans le sud de la France. On ne pourra plus aller chercher sa baguette sans risquer de se faire manger par un lion ! Je n’ose même pas imaginer ce qui va se passer au-delà des Pyrénées.
Bref, quand je vois revenir le printemps début février et que j’entends chanter les oiseaux comme ce matin, je m’en réjouis encore, mais un papa a dit devant l’école qu’on allait encore avoir de la neige cette semaine. Je commence à y perdre mon latin, mon français et mon espagnol.
Comme je suis optimiste, je me dis qu’on va s’adapter, mais il faudra apprendre une nouvelle langue. Par exemple, on ne dira plus : « chéri, je n’ai pas très chaud, tu veux bien augmenter le chauffage de quelques degrés ?», on dira : « chéri, je n’ai pas très chaud, tu veux bien changer l’angle du panneau solaire de quelques degrés ? ». Finalement, le changement ne sera pas bien grand. On a déjà survécu au difficile exercice de programmation d’un enregistrement de film sur un magnétoscope. On arrivera bien à comprendre comment utiliser des toilettes sèches. Faudra juste lire la notice pour éviter les erreurs, parce qu’avec un magnétoscope, au pire on ratait son film.